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Décrypter les émotions du consommateur pour rendre le marketing plus efficace: c'est désormais bien simple grâce aux nouvelles technologies.
Mais pourquoi donc s'intéresser à ce que ressentent les gens plutôt qu'à ce qu'ils pensent? Justement à cause de la manière dont fonctionne notre cerveau. "Nous avons trois cerveaux, le cerveau primaire associé aux réflexes, le cerveau limbique pour les émotions et le néocortex" pour la réflexion, explique Michel Badoc, professeur émérite à HEC et co-auteur avec Anne-Sophie Bayle-Tourtoulou d'un livre intitulé Le neuro-consommateur. Comment les neurosciences éclairent les décisions d'achat du consommateur*.
Or lorsqu'on doit prendre une décision, ces trois cerveaux interviennent l'un après l'autre. En clair: les émotions jouent un rôle très important dans une prise de décision. "70% à 80% de nos achats seraient irrationnels selon les travaux de chercheurs américains", indique Michel Badoc. Et en plus, l'émotion facilite aussi l'ancrage mémoriel. Exit donc le consommateur rationnel, place au consommateur émotionnel.
Des données mesurablesUn bouleversement qui n'a pas échappé aux acteurs du marketing. C'est ce créneau qu'a investi Datakalab, un laboratoire de conseil en neuromarketing. "On est l'alliance de la technologie et du marketing" explique sa présidente Anne-Marie Gaultier. "Ce qu'on propose ce sont des data émotionnelles et leur interprétation: on veut rendre un visage humain à la data, c'est une clé de compréhension du client." Celle qui fut entre autres la directrice marketing des Galeries Lafayette a fondé début 2016 Datakalab aux côtés de Frank Tapiro, publicitaire et ancien conseiller de Nicolas Sarkozy mais aussi des frères Xavier et Lucas Fischer, plus centrés sur l'aspect technique.
Car l'émotion s'exprime par des signes physiologiques qui sont donc mesurables. Dans la palette de Datakalab se trouvent deux outils: le bracelet connecté et la technologie de facial coding. "En analysant les battements cardiaques ou la température par exemple, le bracelet connecté sert de détecteur d'émotion", explique Xavier Fischer, chief innovation officer de la société qui a fait ses armes dans la société Emotient. Mais comment savoir s'il s'agit d'émotions positives ou négatives? C'est là qu'intervient le facial coding. Cette technologie qui se base sur les travaux de l'américain Paul Ekman, qui a notamment conseillé la série Lie to me, permet d'identifier les émotions de base: la colère, la joie, le dégoût, la peur, la surprise et la tristesse.
L'avantage de la technologie? "Avec le bracelet connecté, on ne peut pas tricher" assure Anne-Marie Gaultier qui y voit un complément aux enquêtes déclaratives. Et cela permet aussi d'analyser les émotions à chaque instant. Lors d'une conférence, d'un spot publicitaire… ou d'une bande-annonce par exemple. Datakalab a ainsi travaillé sur la bande-annonce de L'Empereur de Disney. Après avoir analysé les émotions des spectateurs, la bande-annonce a été modifiée pour intensifier l'émotion et le titre changé (il devait s'appeler L'Appel de l'Antarctique).
Des magasins Mr Bricolage ont aussi été testés. Objectif: connaître le ressenti des clients, équipés pour l'occasion de bracelets connectés, en fonction de la surface du magasin. "Ce qui est intéressant, c'est que l'on sait identifier quel type d'émotion les gens ont ressenti à tel endroit du magasin, s'ils ont été stressés dans un rayon par exemple", explique Christophe Mistou, directeur général de Mr Bricolage. "On a ainsi vu qu'un même temps d'attente en caisse était moins bien accueilli dans un grand magasin que dans un magasin plus petit."
"Nouvelle frontière""L'émotion est la nouvelle frontière du marketing pour les entreprises qui veulent connaître leur client", n'hésite pas à affirmer la présidente de Datakalab dont la société s'est offerte une belle visibilité en mesurant les émotions de téléspectateurs lors des débats de la campagne présidentielle. Mais d'autres acteurs du marketing misent aussi sur l'émotion. Comme le spécialiste de l'affichage Clear Channel. "La communication extérieure est un média qui suscite en soi de l'émotion individuellement ou collectivement. On peut jouer sur l'émotion avec la taille de l'affichage, le digital ou non", explique Philippe Baudillon, président de Clear Channel France qui cite en exemple leurs projets Digital Dream sur un multi-écran de 250 mètres carrés.
"Depuis longtemps, on a l'intuition que l'émotion est un vecteur d'efficacité, il s'agissait de le montrer." D'où la réalisation de deux études** s'appuyant ici aussi sur les nouvelles technologies: des capteurs physiologiques et une technologie d'eye-tracking en 2015 pour comprendre comment l'environnement et le format utilisé influent sur la perception consommateur et une technologie de reconnaissance faciale en 2016 pour détecter via une webcam les micro-expressions du visage et mesurer en temps réel les émotions suscitées. Clear Channel a d'ailleurs lancé en début d'année leur outil de mesure de l'émotion pour mieux comprendre le consommateur et proposer de nouveaux services à leurs clients.
Mais disséquer les émotions du consommateur pour mieux cibler le packaging d'un produit, ou une campagne de pub, n'est-ce pas de la manipulation? "Le marketing en soi est manipulatoire", estime Michel Badoc. "Il faut regarder à quelle fin ces techniques sont utilisées. Si une entreprise les utilise pour faire une communication plus intelligente et répondre aux attentes du consommateur, ça ne pose pas de problème. " Mais le professeur de souligner l'importance d'une protection du consommateur comme par exemple un droit au désistement pour avoir le temps de réfléchir à son achat. Pour accompagner cet essor du marketing émotionnel.
*Aux éditions Eyrolles
**Avec iligo et PReal eyeserceptio Media en 2015 et avec iligo et Real Eyes en 2016